Etude de la configuration en Tiers-Lieu - La repolitisation par le service

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ÉTUDE DE LA CONFIGURATION EN TIERS-LIEU - La repolitisation par le service
Antoine BURRET Thèse de doctorat de Sociologie
Dirigée par Gilles Herreros
Université Lumière Lyon 2 - Centre Max Weber – UMR 5283
Présentée et soutenue publiquement le 20 janvier 2017 à 14h15
Dans l'Amphithéâtre Jaboulay, Campus Berges du Rhône, Université Lyon 2
Devant un jury composé de :
Mme Giovanna DI MARZO SERUGENDO, Professeure, directrice, Université de Genève (rapporteure)
M. Yves GILBERT, Professeur des Universités, Université de Perpignan Via Domitia (rapporteur)
M. Michel LÉONARD, Professeur Honoraire des Universités, Université de Genève
Mme Marie-Christine BUREAU, Chargée de recherche, LISE-Cnam-CNRS
M. Philippe BERNOUX, Directeur de Recherche Honoraire, CNRS, Université Lyon 2
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RÉSUMÉ[modifier | modifier le wikicode]

Cette étude se propose de traiter le tiers-lieu en tant qu'objet. De le saisir dans toute sa complexité pour essayer d’en dégager toute la simplicité. Elle appréhende le tiers-lieu comme un concept à définir. Pour y parvenir elle construit une enquête qui se déplie en trois parties. Dans un premier temps, l’objet est approché sous l’angle de la terminologie par une étude des usages courants, professionnels et littéraires du terme, suivi de réflexions sur les notions de lieu et de tiers. Des représentations historiques des tiers-lieux sont ensuite analysées au travers des troisièmes lieux de Ray Oldenburg et de certaines structures sociales de la sphère publique habermassienne notamment les salons et les cafés de la bourgeoisie au XVIIIe siècle. Ce passage en revue permet de délimiter l’objet, d’en clarifier les propriétés et les usages. Il constitue également le point de départ et l’hypothèse d’une enquête exploratoire qui a déterminé la construction d’une posture d’investigation originale nécessairement engagée. Cette enquête s’est déroulée entre 2010 et 2015 auprès de services – espaces de coworking, fablabs, hackerspaces, makerspaces, biohackerspaces, etc. dans leur composition et recomposition successives - qui se désignent ou se présentent explicitement comme des tiers-lieux. Les singularités de ces tiers-lieux, la manière dont ils traduisent des valeurs qualitatives en valeurs juridiques et aussi en valeurs quantitatives, les rapports d’échange et les habitudes critiques des usagers contributeurs ainsi que les régimes de conception sont ensuite théorisés. À partir de l’ensemble de ces informations, une proposition de définition conceptuelle du tiers-lieu est formulée. Celle-ci envisage le tiers-lieu comme une configuration sociale particulière où se produit une rencontre entre des entités individuées qui s’engagent intentionnellement à la conception d’une représentation commune, c’est-à-dire à responsabilité partagée. Des invariants sont enfin posés comme l’esquisse d’une logique opératoire supposée déterminer la présence de la configuration en tiers-lieu. Cette procéduralisation présente une manière d’intervenir sur les règles par la conception de services. C’est ce dépassement de la discursivité qui distingue le tiers-lieu de l’espace public politique.

Mots-clés : artificiel, commun, conception, critique, digital, entrepreneur, espace public, libre, mode de vie, règle, service,
tiers-lieu, usage, valeur

ABSTRACT[modifier | modifier le wikicode]

Research into tiers-lieu configuration. Re-politicisation through services.

Summary: The object of this research is the tiers-lieu, with the aim of grasping it in all its complexity in order to draw out its simplicity. The research treats the tiers-lieu as a concept to be defined. In order to achieve this, it sets out an investigation in three parts. Firstly, the object is approached from the perspective of terminology through a study of current users, professionals and literary writers’ use of the term, following reflections on the ideas of “lieu” and “tiers”. Historic representations of tiers-lieu are then analysed, through the “third places” of Ray Oldenburg and certain social structures of the Habermasian public sphere, particularly the salons and cafés of the 18th century bourgeoisie. This section, through examination, allows the delimitation of the object, clarifying its characteristics and its uses. It also establishes the starting point and the hypothesis of an exploratory enquiry which necessarily required a research approach involving active engagement. This enquiry was conducted between 2010 and 2015 though active involvement in services – coworking spaces, fablabs, hackerspaces, makerspaces, biohackerspaces, etc. in their composition and subsequent re-composition – which are labelled or present themselves explicitly as tiers-lieux. The singularities of tiers-lieux, the way in which they translate their qualitative values into legal values and quantitative values, the exchange relationships and the critical habits of contributing users together with design structures are then analysed. From all this information, a proposed conceptual definition of tiers-lieu is formulated. This envisages the tiers-lieu as a particular social configuration which produces a meeting between individual entities who engage intentionally in the design of a common representation, that is to say a shared responsibility. Patterns are finally set out in order to outline an operating logic for determining the presence of a tiers-lieu configuration. This procedural approach provides a way of intervening in regulations through the design of services. It is this going beyond discursivity that distinguishes tiers-lieux from the public political arena.

Key words: artificial, commons, design, critical analysis, digital, entrepreneur, public sphere, free, way of life, regulation, services, tiers-lieu, use, value

PLAN[modifier | modifier le wikicode]

Choix de l'épigraphe


« Dans tout homme sommeille un prophète, et quand il s’éveille il y a un peu plus de mal dans le monde… La folie de prêcher est si ancrée en nous qu’elle émerge de profondeurs inconnues à l’instinct de conservation. Chacun attend son moment pour proposer quelque chose : n’importe quoi. Il a une voix : cela suffit. Nous payons cher de n’être ni sourds ni muets.  »

— Emil Cioran − L’anti-prophète - Précis de décomposition (1949) | licence

AVANT-PROPOS[modifier | modifier le wikicode]

0.1. Objet d’étude	
0.2. Plan commenté	
0.3. Objectif fondamental	

PARTIE I. PROLÉGOMÈNES À L’ÉTUDE DE LA CONFIGURATION EN TIERS-LIEU[modifier | modifier le wikicode]

Chapitre 1. La question liminaire[modifier | modifier le wikicode]

1.1. La justification du tiers-lieu	
1.2. Usage du tiers-lieu dans la littérature
1.3. Propriétés du tiers	
1.4. Propriétés du lieu	
1.5. Une définition minimale du tiers-lieu	
1.6. Le vague de l’objet tiers-lieu	

Chapitre 2. Agencement institutionnel de la configuration en tiers-lieu[modifier | modifier le wikicode]

2.1. Ray Oldenburg – Le troisième lieu	
2.1.1. Le déclin de la sociabilité dans les banlieues résidentielles nord-américaines	
2.1.2. La dimension institutionnelle du rassemblement	
2.1.3. La relation de service et la relation de sociabilité dans les troisièmes lieux	
2.2. Jürgen Habermas – Les structures sociales de la sphère publique bourgeoise	
2.2.1. Le principe de publicité aux XVIIe et XVIIIe siècles	
2.2.2. La dimension spatiale du principe de publicité	
2.2.3. La manifestation discursive des jugements dans les structures sociales de la sphère publique bourgeoise	

Chapitre 3. La conception du récit commun[modifier | modifier le wikicode]

3.1. La représentation des jugements comme récit	
3.2. La représentation consensuelle des jugements comme récit commun	
3.3. La conception des faits sociaux par le service	
3.4. Réponse intermédiaire à la question liminaire	

PARTIE II. ÉTUDE DE LA CONFIGURATION EN TIERS-LIEU[modifier | modifier le wikicode]

Chapitre 4. Les sources d’informations[modifier | modifier le wikicode]

4.1. La question de l’engagement	
4.2. Enquête et jugement	
4.3. Être pris	
4.4. Devenir contributeur
4.5. Limites des sources d’informations	

Chapitre 5. Le tiers-lieu en tant que service[modifier | modifier le wikicode]

5.1. L’accès au tiers-lieu en tant que service	
5.2. Des services échangés	
5.3. Des services réciproques ou gratuits	
5.4. Les logiques d’action des initiateurs	
5.5. La volonté de mouvement	

Chapitre 6. Individus et manifestation des jugements[modifier | modifier le wikicode]

6.1. Des individus isolés et distincts	
6.2. Responsables, bénéficiaires, visiteurs et amis	
6.3. La manifestation des jugements	
6.4. La représentation des jugements par la conception de services
6.5. Transformation de la réalité	

Chapitre 7. La représentation consensuelle des jugements[modifier | modifier le wikicode]

7.1. Une communauté, des communautés	
7.2. D’usagers à contributeurs	
7.3. Le commun	
7.4. Recherche de consensus et fourchette

PARTIE III. REPRÉSENTATION DE LA CONFIGURATION EN TIERS-LIEU[modifier | modifier le wikicode]

Chapitre 8. Synthèse analytique de l’enquête[modifier | modifier le wikicode]

8.1. Au regard des formes historiques	
8.2. Un milieu ordonné	
8.3. Les rapports d’échange	
8.4. Les habitudes critiques	
8.5. Les régimes de conception	

Chapitre 9. Représentation du tiers-lieu comme concept[modifier | modifier le wikicode]

9.1. Définition conceptuelle	
9.2. Une configuration sociale	
9.3. Un mouvement initial entre des agents caractérisés	
9.4. Conséquence du mouvement initial sur chacun des agents caractérisés	
9.5. Un second mouvement conjoint conséquent au mouvement initial

VERS UNE REPRÉSENTATION DYNAMIQUE DU TIERS-LIEU[modifier | modifier le wikicode]

10.1. Circonférence du vague	
10.2. Éventuels invariants	

Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

Autres références[modifier | modifier le wikicode]

Annexes[modifier | modifier le wikicode]

PREMIERS MOTS[modifier | modifier le wikicode]

"Cette étude se propose de traiter le tiers-lieu en tant qu’objet. La difficulté intrinsèque à cet objet concerne son positionnement conceptuel incertain. À vrai dire, l’objet ne semble pas en posséder. En tant que tel, il est reconnaissable au travers d’innombrables représentations, mais il n’est selon toute vraisemblance, rattaché à aucune classe. Ses caractéristiques restent vagues. Le tiers-lieu s’appréhende dans une multitude de dimensions. Sa compréhension est ainsi dictée par le regard disciplinaire qui l’observe. Il peut être fonctionnel ou prospectiviste. Il peut être traité comme un service que l’on propose ou comme une situation. Le terme lui, semble être construit en creux. Malgré cela, son usage se répand, tout comme ce qu’il paraît nommer. A priori cette relativement large appropriation peut être comprise comme l’écho d’une nécessité. La nécessité de nommer quelque chose dont la présence se fait sensiblement ressentir. À ce stade, le tiers-lieu paraît artificiel. Comme un objet qui doit être construit. C’est possiblement le cas et cela explique le choix du point de vue employé pour l’étudier. Car pour traiter le tiers-lieu en tant qu’objet il parait inévitable dans un premier temps, de convenir de ce qui constitue cet objet. Ce qui le compose et ce qui le maintien dans le temps. Et c’est ici que se complique la situation. Sa composition est difficilement synthétisable en une cartographie, même dynamique, à moins d’en réduire la circonférence. Il est cependant certain que ce terme recouvre une unité de sens même si celle-ci demeure absente des radars. Ce lieu du tiers se rapporte à quelque chose. Encore faut-il trouver et définir ce quelque chose. C’est à cette condition semble-t-il, que l’objet pourra véritablement s’épanouir."

EXTRAIT[modifier | modifier le wikicode]

"La représentation actuelle évoque une réalité contemporaine. Elle décrit un mouvement et sa localisation. Elle montre comment dans des situations particulières des individus et des organisations travaillent à la conception de règles techniques et de standard comportementaux. Ces situations de conception, et c’est en ça qu’elles sont particulières, procèdent par l’expression discursive et par un mode d’expression qualifié de poïétique. Plus particulièrement elles semblent exprimer une manière originale et probablement conjoncturel de travailler sur l’objet société dans toute ses composantes structurelles. Le travail en est une fois de plus le principal vecteur et la figure (élargie) de l’entrepreneur est son agent. Ils ne sont cependant que des biais par lequel semble-t-il passe la traduction de valeurs qualitatives en valeurs juridiques et aussi en valeurs quantitatives. Le travail de conception d’artefacts est ici sensés déclencher un mouvement d’échange. Un mouvement d’échange conditionnés a un accord sur les finalités envisagées du mouvement. Ces dernières ainsi que les moyens misent en œuvre correspondent aux raisonnements et aux jugements de la population qui les engagent. Cette population embrasse trop large pour être catégorisés dans des profils sociologiques convaincants. En témoigne la diversité des usages. Le critère pour la qualifier est donc la figure de l’entrepreneur délaissant sa seule dimension statutaire au profit d’une dimension capacitante. Ses raisonnements recouvrent par ailleurs en certains endroits les fondements de ceux qui ont modelé l’informatique et qui de manière générale s’exprime dans le domaine des sciences de l’artificiel. Pour cause, ils concernent eux aussi la conception d’artefacts dont la complexité oblige à articuler une multiplicité de points de vue et de sensibilités. Et de plus les agents de ce travail de conception n’ont également, et selon toute vraisemblance, aucun lien d’appartenance. Seul l’objet de la conception les réunit ainsi que les valeurs qualitatives et quantitatives que l’objet semble véhiculer.

C’est dans cet interstice que le tiers-lieu en tant qu’objet semble s’épanouir et accomplir sa fonction. Lorsque qu’il déclenche « sous des formes extrêmement variées » la rencontre d’entités individuées et que celles-ci s’engagent intentionnellement à la conception d’une représentation commune. Cette abstraction configurationnelle peut être déclinée dans quantité de situations. Elle repose sur certains types d’interactions poïétiques. Son milieu de manifestation est contextuel. Il répond à la nécessité de la situation. Et ce qu’il engage est à chaque fois décisif puisqu’il est en conversation approfondie et permanente avec la situation." (p. 249)

DERNIERS MOTS[modifier | modifier le wikicode]

"Jürgen Habermas a procédé dans certaines mesures à un raisonnement du même ordre concernant les conditions d’apparition d’une sphère publique démocratique. Dès les dernières lignes de l’ "espace public", il envisage la possibilité d’une procédure de la discussion publique permettant "d’assouplir les formes coercitives d’un consensus extorqué par contrainte". Il envisagera plus tard, la souveraineté populaire sous l’angle de sa procéduralisation. Selon lui, l’expression de la volonté de tous "constitue le résultat de la délibération de tous". En synthèse, et pour reprendre les termes consacrés, la définition procédurale de la sphère publique consiste à ne pas seulement envisagé celle-ci comme "une arène destinée à évoquer certains types de sujets et de problèmes", mais comme "une arène destinée à un certain type d’interaction discursive et ce, sans aucune restriction sur ce qui peut être sujet à délibération". Cette procéduralisation concerne explicitement une manière d’intervenir sur les règles. Par l’énonciation de ces invariants, l’intention est dans une certaine mesure la même. À ceci près que la nature des interactions et la manière d’intervenir sur les règles semblent différer. Le tiers-lieu porte l’attention sur la rencontre, l’engagement d’entités individuées et la conception d’une représentation commune. De manière opératoire cette représentation peut s’envisager comme l’établissement d’un référentiel. Un référentiel qui est commun et non public. Quant à ce qu’il se dégage de ce référentiel, cela dépasse le cadre de cette étude. Des trajectoires sont déjà largement observables en certains endroits et en certains temps. Maintenant, rien n’empêche d’envisager l’objet tiers-lieu dans des dimensions encore inconnues afin qu’il accomplisse sa fonction fondamentale qui est le dépassement de la discussion. Mais pour cela, il faut composer une situation..."

DISCOURS DE SOUTENANCE[modifier | modifier le wikicode]

M. le Président, mesdames et messieurs les membres du jury, j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui ma thèse en sociologie et anthropologie intitulée : Étude de la configuration en tiers-lieu – La repolitisation par le service.

Je vous remercie d’avoir bien voulu prendre connaissance de ce travail et d’être venu le discuter. Je remercie également toutes les personnes qui m’ont fait l’amitié et le plaisir de venir assister à cette soutenance.

La question liminaire[modifier | modifier le wikicode]

La thèse que je présente devant vous a pour objectif d’introduire le concept de tiers-lieu dans le monde académique. Cette ambition est née du constat d’un trou épistémologique. Le terme tiers-lieu n’apparaît que très rarement dans la littérature scientifique et dans des compréhensions aléatoires. Parfois même contradictoire. Son usage, dans le langage courant ou dans le jargon professionnel s’est quant à lui répandu de manière spectaculaire et ce en très peu d’année. Pourtant, ce qu’il désigne n’a jamais été clairement précisé. Sa compréhension varie au grès des besoins des discours. En réalité, son ambiguïté est telle que son emploi traduit l’impression confuse d’être face à quelque chose d’important, mais que l’on ne parvient encore à circonscrire.

Son importance supposée n’est pas uniquement liée au fait que son usage se répand. En lui portant un peu d’attention, en prenant le tiers-lieu au sérieux, on s’aperçoit qu’il cristallise des tensions, qu’il accueille des fantasmes, des désirs et des besoins collectifs. Certains lui prête des vertus dans le domaine du travail, de la mobilité, de l’écologie, de l’entrepreneuriat, de l’éducation, de l’urbanisme. Certains le perçoivent comme le berceau d’une autre économie. D’autre comme le creuset d’un rapport renouvelé a la décision politique. D’autre encore comme un élément central face à l’importance que prennent les technologies informationnelles dans nos sociétés.

Un parti pris aurait put être de ne considérer le tiers-lieu que dans une seul de ces perspectives. C’était alors prendre le risque d’en réduire la compréhension à ces seuls usages contemporains. De lui conférer prématurément des vertus, mais surtout des limites. Il m’a semblé qu’interpréter le tiers-lieu comme un phénomène ponctuel en restreignait sa compréhension et sa portée. Sans en être entièrement satisfait, j’avais déjà effectué cet exercice dans plusieurs articles et dans le livre que j’ai publié sur le sujet en 2015. Cependant, j’ai ici été porté par la volonté d’inscrire le tiers-lieu dans une vision de très long terme.

Dans ce travail, j’ai essayé de ne pas me laisser happer par certaines convictions, par certaines pratiques, par certains courants idéologiques, par certains mouvements sociaux qui ont très tôt perçu l’intérêt du tiers-lieu. Qui ont même parfois largement contribué à sa popularisation. J’ai essayé de le délivrer de ses contingences conjoncturelles.

Pour cela, je me suis efforcé de le travailler comme une abstraction. De l’interroger sous ses multiples facettes, afin de comprendre ce que le tiers-lieu avait à dire. Ce travail de clarification s’achève par la proposition d’une définition conceptuelle du tiers-lieu. Une définition permettant de qualifier une situation qui jusque-là, à ma connaissance ne portait pas de nom. Mais si cette situation ne portait pas de nom, cela ne veut pas dire, qu’elle n’existait pas. Cependant en la nommant, l’ambition est de la présenter comme un objet d’étude à part entière.

Je crois foncièrement que parvenir à formuler une définition conceptuelle du tiers-lieu est un enjeu décisif. Déjà, car la formulation d’un concept, si tant est qu’il s’appuie sur un savoir théorique et empirique consistant, permet d’éclairer certaines situations. Cela permet également de déployer ces situations dans des dimensions encore inconnues. Voir de résoudre certaines équations qui jusque-là ne trouvaient pas d’issue.

Et c’est là mon objectif personnel, intime et ce qui a profondément motivé cette recherche. Je suis convaincu qu’au-delà de ses représentations actuelles et de ses usages contextuels, le tiers-lieu constitue un exercice cognitif et humain essentiel pour réguler avec sérénité et avec une conscience stratégique le passage déterminant vers la société telle qu’elle se présente à nous.

Un engagement méthodologique[modifier | modifier le wikicode]

Le travail que j’ai mené n’est pas uniquement un travail conceptuel. Pour construire ma définition du tiers-lieu, j’ai structuré une démonstration en trois parties distinctes. Dans la première partie, j’ai approché le tiers-lieu par le prisme de la terminologie. Si j’ai fait le tour des mots du tiers-lieu, c’est pour en dégager certaines propriétés. C’est d’ailleurs par ce travail terminologique sur les termes « tiers » et « lieu » isolés puis réunifiés en un même mot composé que j’ai pu constater que le tiers-lieu était une configuration sociale particulière.

L’étude des usages littéraires, cours et professionnelles du terme m’a permis de saisir les raisons du très grand vague qui caractérisait la compréhension du tiers-lieu. Chaque situation où se réunissent des personnes hétérogènes en un même endroit ne peut-être apparenté à un tiers-lieu. Qu’il soit question d’événements festifs ou sportifs, de festival de musique, de carnavals, de temps de délibération, de manifestations collectives, d’assemblées parlementaires, d’agoras, de forums hybrides, ou que sais-je encore ; ces situations sont précisément celle de l’espace public en tant qu’il se comprend comme la réunion d’individus privés assemblés en un public. Le tiers-lieu devait se rapporter sans doute à quelque chose d’autre.

J’ai alors tenté de nuancer les caractéristiques de cette configuration sociale par l’analyse de certaines institutions que j’ai qualifiées d’agencement institutionnel de la configuration en tiers-lieu. J’ai analysé ce que Ray Oldenburg nomment les troisièmes lieux, c’est-à-dire des institutions aux pratiques majoritairement commerciales et qui favorisent les relations de sociabilité et la conversation entre personnes. J’ai également travaillé sur les structures sociales de la sphère publique bourgeoise au 18e siècle chez Jürgen Habermas et notamment les cafés, les salons littéraires, mais aussi les journaux et la constitution de la représentativité. J’ai ainsi réalisé que le tiers-lieu désignait simultanément une configuration sociale et le service qui permettait l’apparition de cette configuration sociale

Au regard de ces passages en revu, j’ai développé plusieurs notions que le tiers-lieu semblait consacrer : la notion de service, la notion de représentation et la notion de consensus. Je me suis alors surtout contraint à proposer une définition que j’ai qualifiée d’intermédiaire. C’est avec cette définition intermédiaire, forme d’armature conceptuelle, que je me suis confrontée à mon terrain de recherche.

Je suis allé à la rencontre de services qui proposaient explicitement ou implicitement l’expérience d’une configuration en tiers-lieu à leurs usagers en France en Belgique et en Suisse. Des espaces de coworking, des fablabs, des hackerspaces, des makerspaces, des biohakerspaces dans leur composition et recomposition successives. Je les ai d’ailleurs appelés des tiers-lieux en tant que service. J’ai observé leurs modèles, leurs architectures, les logiques d’actions de leurs initiateurs, leurs usages, leurs usagers, leurs valeurs. J’ai analysé particulièrement la manière dont se construisaient leurs systèmes de règles, les rapports d’échanges, les habitudes critiques et les régimes de conception. J’ai vérifié à chaque fois et de manière, tant que faire ce peu méthodique, les caractéristiques relevés dans la définition intermédiaire. J’ai confronté le terrain à chacune de ses caractéristiques. J’ai pu ainsi en déceler les particularités ainsi que les filiations avec les agencements institutionnels déjà étudiés. C’est sur l’ensemble de ces informations que j’ai construit ma définition.

Pour réaliser cette enquête, j’avais décidé d’opter pour une approche ethnologique où j’allais me concentrer sur les descriptions de situations. Mais pour faire l’étude du tiers-lieu, ça n’était pas suffisant. La première raison est peut-être la nature instable et immature de l’objet étudié. Lorsque je me suis présenté devant mon terrain, le terme tiers-lieu était quasi inconnu. Seules quelques rares personnes en faisaient un usage avancé et percevaient un intérêt certain. C’est la qualité tout juste émergente de mon objet qui justifie l’aspect exploratoire de ma démarche. J’ai longtemps cherché à identifier la méthode appropriée à l’objet et à mes objectifs de recherche. La seconde raison est la réaction du terrain qui a massivement et sans discussion rejetée ma première posture, celle de l’observation participante, et qui ne consistait en réalité qu’à être là et a observer ce qui se passait. Pour étudier le tiers-lieu, il fallait que j’en fasse moi-même l’expérience. Que je participe concrètement à l’élaboration des tiers-lieux. Que j’engage les enjeux de mon existence. Que je m’engage.

J’ai effectué un parallèle avec le travail sur l’ensorcellement de l’ethnologue Jeanne Favret-Saada. Lorsqu’elle affirme avoir été elle-même ensorcelé pour pouvoir étudié la sorcellerie. Au risque de paraître disproportionné, c’est là l’expérience qui m’a semblé la plus proche de la posture que j’ai été contraint d’adopter. Je devais être affecté et embarqué avec les personnes et les organisations des tiers-lieux pour pouvoir l’étudier. C’était une condition sine qua non pour approcher concrètement ce qui se jouait. Les postures référentes de la sociologie d’intervention n’étaient pas adaptées. Il n’y avait pas de problème à résoudre ou de souffrance à éluder dans un groupe social déterminé. Je devais construire le tiers-lieu en me positionnant avec ceux qui le construisaient. Je devais m’engager avec ceux qui s’engageaient. En travaillant comme eux et avec eux. Non pas à côté, non pas entre, mais avec.

Ma tâche était complexe et mon travail de recherche à parfois été mis en danger par une trop grande fascination. Mais peu importe. Le tiers-lieu était alors une simple idée. Au même titre que les personnes que j’ai étudiées, j’ai prétexté ma recherche et utilisé mes compétences dans le développement culturel des territoires en transition pour concrétiser cette idée. Un peu comme un chercheur en informatique co-développe le programme sur lequel il souhaite travailler toute sa vie. J’ai contribué à la conception de la configuration sociale dans laquelle je pensais pouvoir m’épanouir aussi bien humainement que professionnellement.

Cela à durer 5 ans. Entre 2010 et 2015. Et ce n’est qu’au bout de ces 5 ans que je me suis senti suffisamment équipé voir suffisamment légitime, pour m’atteler concrètement à la rédaction de l’étude que je présente devant vous. Ce temps d’enquête a été un temps pour faire émerger le tiers-lieu en tant qu’objet, faire l’analyse de ses principales caractéristiques et enfin consolider une représentation du tiers-lieu comme concept.

Résultats[modifier | modifier le wikicode]

Le principal apport de ma recherche est de concevoir le tiers-lieu comme un concept. Au regard de l’ensemble des informations théoriques et empiriques, des partis pris analytiques et méthodologiques de l’étude, je suis parvenu à définir ce concept. J’ai observé qu’il s’intégrait à une classe d’objet et qu’il était gouverné par 3 grandes caractéristiques. Ainsi, le tiers-lieu peut-être défini conceptuellement comme une configuration sociale où la rencontre entre des entités individués engage intentionnellement à la conception d’une représentation commune. Je vais maintenant détailler chacune des 3 grandes caractéristiques du tiers-lieu

Dans cette définition, la rencontre entre entités individuées est la première caractéristique du tiers-lieu. La rencontre est différente d’un rassemblement qui n’engendre pas nécessairement d’interaction ou de capacité d’interaction entre les entités. La rencontre se produit nécessairement en un lieu, c’est-à-dire dans l’espace singulier où se produit cette rencontre. Il faut également la présence d’au minimum deux entités pour qu’il apparaisse rencontre. Le qualificatif d’entité ne réduit pas la rencontre à une rencontre entre individus, ce peut être des organisations qui se rencontre entre elle comme ce peut être des individus qui rencontre des organisations. Toujours est-il que dans le tiers-lieu, cette rencontre se passe entre des entités qui sont individué. Individué, dans le sens que, avant la rencontre, il n’existait pas relation de subordination préétablie, ni de relation unitaire formalisée entre ces différentes entités.

La seconde caractéristique est la conséquence de la première. Cette rencontre engage intentionnellement. Elle engage c’est-à-dire que si avant le tiers-lieu, il n’y avait pas de lien entre les entités, par le tiers-lieu et par cette rencontre, il apparaît un lien qui n’existait pas jusqu’alors. Une liaison qui est produite par la rencontre dans le tiers-lieu et qui invite les entités individuées à prendre ensemble une certaine trajectoire d’action. En précisant que cet engagement est intentionnel il est affirmé qu’il est pris délibérément. Qu’il est conscient et volontaire. Qu’il procède d’une stratégie individuelle. Cela sous entend également qu’il y a une négociation entre les entités afin de convenir de la trajectoire d’action pris conjointement. Une négociation dont l’issu peut-être le fruit d’un compromis, d’un consensus, d’un consentement mutuel ou bien d’une décision autoritaire de l’une de ces entités et derrière laquelle les autres entités se replient intentionnellement.

La dernière caractéristique de la définition est en somme la finalité du tiers-lieu. Dans la configuration en tiers-lieu, la rencontre engage intentionnellement à la conception d’une représentation commune. L’emploi des termes conception d’une représentation précise l’intention sous-jacente à l’engagement. Les entités combinent indistinctement différents éléments et produisent ce que l’on peut envisager comme un support de manifestation de leur jugement. Un support qui est l’expression de ce que les entités juge comme bien, beau, laid, désirable, souhaitable, convenable, nécessaire, réalisable, crucial.

Dans la configuration en tiers-lieu, tous les supports de manifestation des jugements sont envisageables. L’étude en a montré de nombreux : des écrits, des œuvres plastique, des services informatiques, des plans techniques, des technologies, des modèles, des formats, des codes. Mais si tous les supports sont envisageables, dans le tiers-lieu, ils ont la spécificité d’être gouverné comme des communs. C’est-à-dire qu’ils sont à la responsabilité des entités individuées qui se sont engagées intentionnellement sur ces supports ; Que ce sont ces entités qui définissent elles-mêmes «  les règles, les normes et les sanctions » qui ordonnent la représentation qu’ils ont conçu. Que chacune des entités est prête à en répondre personnellement.

Un des autres résultat de ma recherche se retrouve dans le sous-titre : «  La repolitisation par le service ». J’ai montré que le tiers-lieu était une configuration sociale où la manifestation des jugement et l’expression de la critique ne se limitait à pas à l’exposition d’un discours. Dans le tiers-lieu, et c’est à mon sens ce qui lui donne toute son importance et sa spécificité, la mise en débat, la publicisation et la libre expression en public de ses jugements n’est pas l’unique vecteur pour imposer sa pensée. Pour imposer leur pensée, les entités conçoivent et fabriquent quelques choses. C’est une forme de critique que j’ai qualifié de poïétique en tant qu’elle s’incarne par un mouvement de production d’une œuvre souvent technique et extérieur à son producteur.

C’est cette œuvre technique que j’ai appelé artefact. En concevant des artefacts, c’est-à-dire des ustensiles, des programmes informatiques et bien plus largement des objets, des organisations, des techniques, des systèmes abstraits, des réglementations ou des dispositifs, les entités expriment leurs jugements. J’ai montré que ces artefacts invitaient artificiellement à la réalisation de certain usage chez des bénéficiaires. Que par ces artefacts, le bénéficiaire réalise un mouvement qu’il n’aurait pas réalisé sans lui. Que ces artefacts, représentatifs du jugement des entités, étaient censés générer des comportements. Et que ces comportements réalisé au travers de l’artefact répondent à des problématiques écologiques, économiques ou social préalablement identifié. C’est ainsi qu’on observe un véritable dépassement de la discussion et de la revendication. Ce mouvement provoqué par l’artefact, je l’ai appelé un service. J’ai défini le service, y compris le service informationnel, comme une opération interindividuelle qui prétend à la transformation de la réalité d’un bénéficiaire. Un service peut être indifféremment échangé lorsque par exemple s'effectue une transaction financière. Il peut être réciproque ou gratuit en fonction de l'entente préalable entre les entités sur différentes typologies de don. Il peut être également à la fois échangé, réciproque et gratuit.

Dans le tiers-lieu, le travail sur la cité ne procède pas uniquement d’une expression publique de la critique dans l’attente opiniâtre de représentativité. Les entités conçoivent des services. Et s’ils conçoivent des services, c’est pour pouvoir eux-mêmes générer des comportements. Dicter des normes et des standards techniques et cognitifs. C’est une manière d’intervenir sur les règles et c’est en cela qu’il y a repolitisation. Dans la recherche et le travail permanent sur la conception d’artefact pour déclencher artificiellement un mouvement qui transforme la réalité de bénéficiaires. Et ce en vue de répondre a un besoin sociétal déterminé.

Design de la configuration en tiers-lieu[modifier | modifier le wikicode]

Enfin, je me suis essayé pendant plusieurs semaines à travailler sur une définition procédurale du tiers-lieu. C’est-à-dire à décrire une suite méthodique d'agissement qui est supposé déterminer la présence de la configuration en tiers-lieu. En reprenant les informations récoltées et analysées pendant l’enquête, je voulais présenter la définition conceptuelle comme un objectif que la procédure permettait de poursuivre. En synthèse, cela commençait par cette proposition : SI d'après la définition conceptuelle du tiers-lieu le dessein est de créer une configuration sociale où la rencontre entre des entités individuées engage intentionnellement à la conception de représentations communes, ALORS sous des formes extrêmement variées, se succèdent les séquences suivantes.

Et j’ai décliné jusqu’à 8 séquences reposant sur des agissements observés ou déterminés pendant l'enquête. Et puis je me suis arrêté. Je n’en ai gardé que trois que je présente dans la toute dernière partie de ma thèse et qui fait office de conclusion. Je les ai appelées des invariants. Ils posent les jalons d’une certaine logique opératoire que je ne développe que très très schématiquement. Si je me suis arrêté, c’est parce qu’il s’agissait là d’un tout autre travail. Ou plutôt d’un prolongement de cette étude nécessitant de faire appel à une somme conséquente d’autres disciplines. Nécessitant différentes modélisations et mise en situation d'usage de l'objet. Je me suis arrêté, car c’était un autre projet et que pour l’embrasser avec sérieux et conséquence, il faut du temps et un cadre approprié.

Il faut être capable de travailler dessus en collectif, comme l’on travaille sur un service. Il faut concevoir l’artefact. Et cela ne peut se faire sans convoquer les sciences cognitives, de la conception, l’ergonomie et ce que l’on nomme de manières générales les sciences de l’artificiel. Sans oublier ceux de l’ingénieur, de la gestion, l’économie, le droit et la sociologie. Il faut redécouvrir les travaux d’Herbert Simon sur les prises de décision notamment. Il faut disséquer les systèmes confédérales. Il faut mettre en situation la procédure. Peut-être la simuler informatiquement, dans tous les cas la confronté à l’usage et à la contributivité. Il faut voir comment elle réagit lorsque, composé à cet effet, elle s’attelle à des sujets d'importance majeure pour la Société. Il faut surtout modéliser la configuration en tiers-lieu, tant et si bien qu’elle devienne une évidence.

Il faut tout cela et plus encore, pour concevoir le design d’une configuration en tiers-lieu si consistante et si précise, qu’elle soit en mesure de s‘imposer comme le pivot d’une gouvernance éclairée, et ce, à tout niveau. Qu’elle soit en mesure de répondre aux questions que se posent aussi bien, les responsables politiques que tout citoyen, les dirigeants d’entreprises que tout travailleur, le pauvre ou le riche, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Une configuration en tiers-lieu si standardisée, si normalisée qu’à la question : Mais que peut-on faire ? La première réponse qui vienne à l’esprit soit, de concevoir UN TIERS-LIEU.

Je vous remercie de votre attention.

DOCUMENTATION[modifier | modifier le wikicode]

La soutenance a été relayée et mise en discussion en direct sur les réseaux sociaux par un certain nombres de personnes présente avec le hashtag tierslieuxphd. L’ensemble en suivant ce lien : https://wakelet.com/wake/647d2805-34cb-464d-9574-b62af7baa153

DIFFUSION[modifier | modifier le wikicode]

Le choix de la licence correspond a l'option proposée par l'Université Lyon 2 concernant le mode de reproduction de la thèse.

REPRODUCTION[modifier | modifier le wikicode]

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01587759/document Fichier:Version Finale - Etude de la configuration en tiers-lieu.pdf

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